Résistance ! Soutien total à M. Jacques Sapir, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, victime d’une atteinte insupportable à la liberté de l’esprit, à la libre recherche scientifique, & tout simplement à une liberté d’expression bafouée chaque jour davantage

On lira ci-dessous un texte publié ce jour par M. Jacques Sapir, dont je rappelle qu’il est un chercheur de premier plan dans les domaines des études soviétiques et russes, de la théorie économique, de l’étude critique des politiques néolibérales et plus récemment de la théorie monétaire, de la doctrine aussi de la souveraineté. Qui pourrait douter une seconde que les serviteurs du régime et de la classe dominante globalisée – tout à fait égarés par l’effet d’une étrange fausse conscience dès lors qu’ils sont universitaires – ne sanctionnent ici un ami de la paix en Europe et d’une liberté s’accomplissant contre les oligarchies, selon la leçon de Rousseau, en souveraineté du peuple ! 

Je précise que :

  • les articles, qu’il faut désormais dire tristement « anciens », de M. Sapir peuvent tous être consultés sur la version de son blogue RussEurope qui vient d’être interrompue violemment :

http://russeurope.hypotheses.org

  • M. Olivier Berruyer, fondateur et courageux directeur de l’excellent site Les Crises a accueilli pour l’heure la libre plume de M. Sapir :

https://www.les-crises.fr

Vous trouverez en annexe photo du courrier électronique que je viens d’adresser à M. Marin Dacos, auteur de la décision visant M. Sapir, ainsi qu’à son supérieur hiérarchique au ministère des Universités.

 

M. Jacques Sapir.png

 

Mon carnet scientifique, ouvert en septembre 2012 sur Hypotheses.org vient d’être suspendu. Je ne puis donc plus installer de notes ni faire des modifications sur les textes publiés. Le communiqué, signé par Marin Dacos directeur d’Open Edition, et installé sur mon carnet dit : « Le carnet que vous consultez est désormais une archive et ne sera plus alimenté. Les droits d’accès en écriture ont été retirés à son auteur par l’équipe d’OpenEdition. À de nombreuses reprises, l’auteur du carnet y a publié des textes s’inscrivant dans une démarche de tribune politique partisane, déconnectés du contexte académique et scientifique propre à Hypothèses et constituant une condition indispensable pour publier sur la plateforme. »

Je conteste formellement cette affirmation tout comme cette procédure, dont on peut s’étonner qu’elle survienne maintenant alors que je publie tout type de textes depuis l’ouverture du carnet, fin septembre 2012. Mais, tous les textes publiés sont en relation avec mes recherches, qu’il s’agisse d’articles scientifiques, de notes de travail, ou d’articles de réaction à l’actualité. Tous ces textes s’inscrivent dans le contexte de mes recherches. De plus, et il faut l’ajouter, de nombreux carnets réagissent eux-aussi à l’actualité.

J’aurais compris cette mesure si mes textes avaient contrevenu au point 10 de la charte d’Open Edition, cité plus bas in extenso. Mais, un courrier de M. Dacos indique que ce n’est pas le cas et que ce n’est pas cela qui m’est reproché.

Parmi les textes qui me sont reprochés dans une lettre co-signée de M. Dacos et du Président d’Open Edition, il y a les quatre textes suivants qui sont donnés en exemple et servent de prétextes à ce blocage. Il convient alors de les examiner avec précision :

Candidats du passé, candidats du futur (8 avril 2017)

https://russeurope.hypotheses.org/5888

Ce texte est la version française de l’interview que j’avais donnée à Russia Today (RT). Je souhaitais mettre cette contribution à la disposition de mes lecteurs francophones sous une forme écrite.

Times of change for French politics (24 avril 2017)

https://russeurope.hypotheses.org/5929

Ce texte correspond à la version anglaise d’un article publié dans la revue russe Ekspert. Cette pratique de republier un texte paru dans un journal est fréquente sur Hypothèses.org. On la retrouve, par exemple, sur le carnet de Michel Wieviorka, où l’on peut trouver ainsi la version française de l’intéressant article qu’il a publié dans le quotidien espagnol La Vanguardia (L’autonomie du politique / https://wieviorka.hypotheses.org/818 ), ou encore un article publié dans le New-York Times (https://wieviorka.hypotheses.org/826 ), ou enfin dans Libération (https://wieviorka.hypotheses.org/831 ). Que Michel Wieviorka puisse publier des articles, parus dans la presse, est une fort bonne chose et, quand on ne peut pas suivre les journaux, on est d’ailleurs fort heureux de pouvoir retrouver ces textes. Mais pourrait-on m’expliquer ce qui justifie la différence de traitement avec moi ? Est-ce la revue russe, pourtant considérée dans son domaine comme une revue de référence , qui gêne? Ou bien alors, faut-il croire que ce sont les opinions ?

Macron, Ferrand et la « propagande » (30 mai 2017)

https://russeurope.hypotheses.org/6052

Ce texte correspond à un point d’application de mes travaux sur la légitimité et la légalité. J’ai publié au début de 2016 un ouvrage sur cette question[1], et suis revenu sur ce point dans l’ouvrage publié en commun avec Bernard Bourdin[2]. J’ai d’ailleurs publiés de nombreuses notes sur cette question[3].

Le président Potemkine? (2 juin 2017)

https://russeurope.hypotheses.org/6067

Ce texte dresse un parallèle entre la situation actuelle et l’histoire de la Russie sur la question de la communication et des représentations, et s’inscrit à la confluence de mes travaux, tant sur la Russie que ceux sur le couple légalité/légitimité.

On peut alors constater que la phrase du communiqué « l’auteur du carnet y a publié des textes s’inscrivant dans une démarche de tribune politique partisane, déconnectés du contexte académique et scientifique propre à Hypothèses » apparaît comme un pur prétexte. On se souvient du vieil adage « qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ». On comprend immédiatement que pour tout auteur, et c’est mon cas, qui estime que la recherche ne se fait pas dans les limbes, les travaux scientifiques conduisent nécessairement à prendre parti dans l’agora électronique, ce que j’ai fait d’ailleurs dès l’ouverture du carnet en septembre 2012. Par ailleurs, rien dans la charte des contenus sur Open Edition ne mentionne l’interdiction d’une démarche « de tribune politique partisane ». On consultera, en annexe l’article 10 de cette dite charte. Nous sommes donc, à tout le moins, devant une mesure arbitraire.

Alors, peut-être est-ce tout simplement le succès du carnet Russeurope qui m’attire les foudres de Marin Dacos et d’Open Edition. Et il est vrai que Russeurope a connu un développement auquel je ne m’attendais pas quand je l’ai créé. Le nombre de connexions mensuelles, tout comme le nombre de visiteurs, a atteint des chiffres étonnants.

Tableau 1

Chiffres de fréquentation de Russeurope pour les 4 premiers et les 4 derniers mois

Mois Visiteurs différents dans le mois Nombre de connexions dans le mois Nombre de notes dans le mois Nombre de connexions/notes
octobre-2012 10 856 26 111 13 2009
novembre-2012 14 770 36 802 12 3067
décembre-2012 13 456 36 225 10 3623
janvier-2013 14 019 38 771 13 2982
mai-2017 134 198 315 938 33 9574
juin-2017 97 286 234 556 18 13031
juillet-2017 102 137 231 402 18 12856
août-2017 94 822 213 146 17 12538

Dès lors, on peut penser que ce qui aurait été toléré pour un carnet connaissant moins de 40 000 connexions par mois était devenu insupportable pour un carnet connaissant plus de 200 000 connexions mensuelles. Ainsi, la note postée sur RussEurope le 22 septembre 2012 n’est pas différente ni dans son ton ni dans son contenu, de ce que j’ai publié cette année[4]. Mais, clairement, une note publiée sur un carnet qui, à l’époque, avait environ 25 000 connexions/mois gêne moins que ce qui est publié sur un carnet à plus de 200 000 connexions/mois. Et ce d’autant plus qu’il était de notoriété publique que les articles et notes de Russeurope étaient repris sur d’autres blogs, que ce soit en France, en Belgique, en Italie ou dans d’autres pays.

Il est, bien entendu, impossible de tenir une comptabilité précise, mais on peut penser que le nombre réel des lecteurs dépassait de 50% à 100% suivant les occasions les lecteurs enregistrés par Hypothèses.org. Alors, oui, cela était de nature à fâcher les fâcheux…

Il y a cependant un autre point dérangeant dans la démarche d’Open Edition. Tous les articles cités datent de 2017, et de la période dite de « campagne présidentielle », alors que j’ai publié des prises de position dès l’ouverture du carnet. Or, on peut constater qu’en 2017 M. Marin Dacos est devenu « Conseiller scientifique pour la science ouverte auprès d’Alain Beretz, Directeur général de la recherche et de l’innovation au Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ». Ceci correspond à une position officielle. Elle est de nature à induire un conflit d’intérêts avec sa position de directeur d’Open Edition qui, par nature, est une plate-forme ouverte à toutes les opinions.

Surtout, elle pourrait me fonder à penser qu’il y a là la source réelle de la mesure qui me frappe. Ce n’est point tant le fait de publier des textes politiques, ou s’inscrivant dans une lecture du politique découlant de recherches scientifiques que l’on me reproche, mais bien les opinions de ces textes. Ce serait donc, si cette hypothèse était vérifiée, un procès d’opinion, chose que l’on croyait bannie dans un pays se disant démocratique.

Devant cet état des faits, et devant les multiples soutiens que j’ai reçus, que ce soit en France, en Allemagne, en Pologne ou en Italie, je demande donc solennellement à Open Edition d’annuler sa mesure arbitraire à mon encontre.

Si, vous aussi, êtes choqués par ce comportement de M. Dacos et d’Open Edition, je vous invite à le faire savoir à M. Dacos (marin.dacos@openedition.fr), à demander que l’usage du carnet Russeurope me soit rétabli, et à faire remonter vos commentaires à M. Alain Beretz (alain.beretz@recherche.gouv.fr), le supérieur hiérarchique de M. Dacos.

 

Jacques Sapir

29 septembre 2017

 

Annexe

Extraits de la charte d’OpenEdition

 

Article 10. Contenu (texte in extenso)

En adhérant à la plateforme électronique du portail OpenEdition du Cléo, l’Éditeur s’engage à ne pas mettre en ligne un contenu comprenant :

— un message et/ou images faisant l’apologie d’idéologies fascistes, xénophobes, racistes ou sectaires ;

— des propos diffamatoires et/ou injurieux ;

— des propos et/ou images à caractère insultant, humiliant ou portant atteinte à la vie privée d’une personne ;

— des propos et/ou images à caractère pédophile ;

— des propos et/ou images et/ou vidéos à caractère pornographique ;

— des propos et/ou images susceptibles de porter atteinte à l’ordre public, au respect de la personne humaine ou de sa dignité, à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la protection des mineurs ;

— des propos et/ou des images encourageant, contenant ou provoquant à la discrimination, l’injure, la haine ou la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, notamment en raison de leur origine, ou de leur appartenance ou non à une ethnie, une nation, une race ou une religion, de leur handicap, de leurs préférences sexuelles ou de toute autre différence ;

— des propos et/ou des images faisant l’apologie ou la négation ou la remise en question des crimes de guerre et/ou contre l’humanité (négationnisme) ;

— des propos et/ou images encourageant la commission de crimes et délits ou le commerce et la consommation de substances illicites, la prostitution, le terrorisme, les agressions sexuelles, le vol, le suicide, la violence, les dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, les atteints à l’autorité de la Justice ;

— des éléments portant atteinte à des droits de propriété intellectuelle (marque, droit d’auteur, dessins et modèles, brevets) ;

— des propos et/ou images portant au droit de la personnalité (atteinte à la vie privée, divulgation d’une image sans l’autorisation de la personne, divulgation de données privées et/ou personnelles…).

 

 

 

[1] Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Paris, Ed. Michalon, 2016.

[2] Bourdin B. et Sapir J., Souveraineté, Nation, Religion, Edition du Cerf, Paris, 2017.

[3] Par exemple :

http://russeurope.hypotheses.org/763 Comment sommes-nous dépossédés de la Démocratie

http://russeurope.hypotheses.org/765 Légalité, Légitimité et les apories de Karl Schmitt

http://russeurope.hypotheses.org/2300 Souveraineté et Ordre Démocratique 1

http://russeurope.hypotheses.org/2333 Souveraineté et Ordre Démocratique 2

http://russeurope.hypotheses.org/2393 Etat Social et Démocratie

http://russeurope.hypotheses.org/4263 La Société au risque de la Souveraineté

http://russeurope.hypotheses.org/4330 Tyrannies et Dictature

https://russeurope.hypotheses.org/5319 , Etat de Droit et Politique

[4] https://russeurope.hypotheses.org/113

 

 

Annexe : Courrier du Pr Rials à M. Dacos, auteur de la décision frappant M. Sapir :

 

Courrier à M. Dacos.png