Chronique orientale n°4 [17 avril/2 mai 2020] I/ retour en Israël

 

nb = ce dimanche matin 3 mai, la Cour suprême israélienne a commencé l’examen des requêtes évoquées à la fin du présent billet

par ailleurs, depuis hier, ledit billet a été expurgé de quatre ou cinq coquilles

 

Beaucoup de choses se sont certes passées depuis la mi-avril, dont j’essaierai de rappeler certaines ici ; mais j’éprouve un étrange sentiment ; lequel me rappelle invariablement le vers 23 de Tartuffe, lorsque madame Pernelle, s’adressant à sa petite-fille, Mariane, au cours de l’étourdissante distribution de missiles paroliers à laquelle elle se livre à la première scène, assène à son intention cette formule fameuse = « […] il n’est, comme on dit, pire eau que l’eau qui dort » ; dans les Orients, rien ne s’est passé de véritablement nouveau ; mais l’intensification cumulative de certaines orientations donne le sentiment toujours plus net que le printemps s’achèvera difficilement sans quelque lourd dérapage de la situation, en particulier en Syrie.

 

Comme je pressens que quelque lecteur pourrait écarquiller les yeux de surprise devant mon constat, je m’empresse d’ajouter que je ne sous-estime pas l’intérêt de ce qui s’est déroulé et se déroule en Israël ; je n’évoque pas les frappes sur la Syrie, dont j’ai même tort de porter parfois qu’elles sont à peu près hebdomadaires, puisqu’il se passe rarement quatre ou cinq jours sans qu’il en soit organisé une ; elles sont illégales et insupportables ; assez souvent, elles sont beaucoup plus qu’anecdotiques [comme on pourrait le croire au regard du silence de la presse du grand espace impérial atlantique] ; elles révèlent bien sûr, par leur simple possibilité, une remarquable partialité de Moscou [et en tout cas de M. Poutine] envers Tel Aviv ; mais cet aspect-là aussi est parfaitement connu, et sera sans doute élucidé quelque jour ; qu’ajouter donc, si ce n’est qu’il s’agit d’une lourde erreur dans la durée – compromettant cette durée même à mon sens ?

Non, en Israël, on pourrait me reprocher de ne pas assez prendre en considération le nouveau rebondissement de la curieuse pièce de Labiche que jouent depuis des semaines M. Nétanyahou et M. Gantz ; il y a du Folleville chez celui-ci, même si celui-là rappellerait assez faussement Manicamp ; après que les chances du mariage aient semblé à peu près anéanties, et qu’il soit apparu que l’acheminement vers de quatrièmes législatives le 4 août était à peu près inéluctable, d’autant que des sondages favorables autorisaient le Likoud à nourrir de bons espoirs d’y figurer avec succès, ce qui ne pouvait incliner M. Nétanyahou à se montrer imprudemment porté à des transactions, voici que les deux hommes purent annoncer le 20 avril un accord en vue de la formation d’un gouvernement d’union, dit « d’urgence nationale ».

 

MM. G. et N. le 20 IV 2020, mettant la dernière main à leur accord.png

MM. Gantz et Nétanyahou mettant la dernière main à leur accord de gouvernement le 20 avril 2020

 

Par cet accord, M. Gantz obtenait certes quelques satisfactions = la consécration par une loi – procédure un peu étrange certes – de la rotation au poste de Premier ministre après que M. Nétanyahou l’ait assumé dix-huit mois de plus ; l’attribution immédiate, à lui du ministère de la Défense et à son allié au sein de Kakhol Lavan, M. Gabi Ashkenazi, du ministère des Affaires étrangères ; la parité des nombreux portefeuilles ministériels [36 – sans parler de nombreux vice-ministres -, ce qui entraîna d’emblée des critiques au regard en particulier de l’inopportunité d’un tel coût à l’heure de la crise sanitaire et économique, avec l’effet d’incliner M. Gantz à annoncer immédiatement qu’il n’utiliserait pas la plénitude de son effectif] ; mais au fond, le grand vainqueur semblait bien M. Nétanyahou, qui non seulement parvenait à se maintenir, mais encore obtenait pleine satisfaction sur le chapitre, crucial pour lui, de la commission des nominations judiciaires d’une part [quoique le ministre de la Justice ait dû être choisi parmi les amis de M. Gantz], et, à partir de juillet prochain, d’une annexion de larges territoires en Cisjordanie [aspect dont j’ai déjà relevé que l’on s’illusionnerait si l’on imaginait que les vues des deux hommes à son propos aient jamais pu être véritablement divergentes] ; l’on apprit peu après que M. Gantz eût même pris l’engagement en fin de compte, en cas de disqualification de M. Nétanyahou par la Cour suprême, de ne pas exercer les fonctions de Premier ministre mais d’œuvrer en vue de l’organisation de nouvelles élections ; et aussi que M. Moshe Gafni, membre de la formation Haredi, et plus précisément de la tendance orthodoxe radicale askénaze, Yahadout HaTorah [Judaïsme unifié de la Torah], eût joué un rôle important dans l’aboutissement de la discussion, ce qui signale assez que, sur le chapitre de la sécularité de l’État, les divergences entre les deux hommes ne sont pas insurmontables non plus.

L’on comprit assez vite que le montage institutionnel prévu était finalement fort complexe, impliquait une poussière d’amendements biscornus et, multipliant les garanties pour les deux hommes de pouvoir, ne manquait pas de sortir du cadre général et de l’esprit d’un gouvernement parlementaire, le propos étant au demeurant de ménager immédiatement les apparences pour M. Gantz, lequel au fond devait avoir tout d’un Premier ministre sans être, en tout cas pendant un an et demi, le Premier ministre.

S’essayant le 23 avril, dans un article extrêmement riche,

https://fr.timesofisrael.com/laccord-de-coalition-piege-la-knesset-les-juges-vont-ils-intervenir/

à un inventaire du chantier institutionnel pour Times of Israël, M. Haviv Rettig Gur énumérait =

« Les modifications sont nombreuses. Parmi celles-ci, (soyez patient) : l’établissement d’un nouveau type de gouvernement « d’alternance » composé d’un Premier ministre et d’un Premier ministre « suppléant » ; la création d’une nouvelle forme de gouvernement exécutif « d’urgence » ayant le pouvoir de geler toute législation non liée à la crise du coronavirus ou approuvée par les deux Premiers ministres (actuel et futur) ; la fixation de la durée de vie actuelle de la Knesset à 36 mois et la fixation d’une date pour les prochaines élections ; et l’adoption de la loi dite de contournement de la « loi norvégienne » qui permet à certains des 52 ministres et vice-ministres du nouveau gouvernement (près de la moitié du Parlement) de démissionner temporairement de leur poste à la Knesset pour laisser entrer de nouveaux députés au Parlement à leur place – mais pas selon l’ordre initial de leur liste, afin de ne pas augmenter par inadvertance la taille des factions Yesh Atid et Telem. Étourdi ? Ce n’est pas tout. L’article 13C de l’accord prévoit la modification d’une loi fondamentale pour permettre la nomination de deux vice-ministres dans un seul ministère, de sorte qu’il y aura de la place pour les 16 députés approuvés par l’accord ; un autre projet de loi gèle les nominations de haut niveau dans la fonction publique, y compris celle du procureur de l’État, pendant les six mois de la période « d’urgence » du nouveau gouvernement. La liste ci-dessus n’est pas exhaustive, mais elle suffit à donner une idée de la complexité labyrinthique et des extraordinaires innovations du nouvel accord. Rien de comparable à ce qui n’est jamais sorti d’une négociation de coalition israélienne. »

Bien entendu, de nombreux juristes se sont élevés contre cet impressionnant bricolage ; et plusieurs requêtes ont saisi la Cour suprême de tel ou tel aspect ; la tâche de celle-ci pourrait toutefois n’être pas aisée car l’accord aurait été supervisé par des juristes aiguisés qui auraient soupesé chaque terme afin de ne pas offrir de prises trop grossières à la haute juridiction. L’on disait à la fin d’avril que la Cour se mettrait au travail dès la première semaine de mai.

Alors que les tensions politiques croissent aussi du fait de ce que beaucoup considèrent comme une trahison de M. Gantz [M. Yair Lapid, chef du parti Yesh Atid-Telem et ancien allié du général, se déclarant même prêt à voter avec M. Nétanyahou pour assurer la déconfiture de celui-là], il demeure difficile de prévoir la prochaine évolution de la situation et l’on ne saurait, à cette heure exacte, exclure un retour aux urnes en août.

 

fin de la première partie de la chronique ; la suite [à partir de] demain