Chronique orientale n°4 [17 avril/2 mai 2020] II/ mais que prépare donc Iznogoud ? A/ Libye

Ah ! si le sultan [et bientôt – lorsqu’il aura fini d’apprendre par cœur les textes de Hassan el-Banna – calife – qu’exclure en un temps où les folies s’enchaînent à un rythme peu fréquent dans l’histoire ?] pouvait être débonnaire, comme le calife Haroun el-Poussah, et non un concentré de travers très préoccupants, comme le vizir Iznogoud, qui – à Bagdad certes, et non à Constantinople et Ankara, dans la fiction aussi – voulait « devenir calife à la place du calife » ; à la fonction suprême, sur le mode d’une exclusivité de fait, M. Erdogan est parvenu et le monde méditerranéen, si l’on peut dire, le sent douloureusement passer ; il n’y a plus de contrepoids aux débordements constants et insatiables  de sa turannikē psuchē, selon l’expression du divin Platon [Rép., l. VIII et IX].

Pourtant, comme je le suggérai en commençant, sur les deux théâtres où opère cet homme terrible, il semble ne pas se passer grand chose ; mais le calme de ces eaux naguère si agitées paraît, lorsqu’on le considère d’un peu près, masquer les préparatifs de deux manières de Gun Powder Plot ; les tonneaux accumulés paraissent attendre la mèche.

 

Je me débarrasse un peu rapidement de la pauvre Libye, qui m’a retenu un peu plus la dernière fois ; c’est que, bien qu’il y ait des escarmouches, et davantage, en plusieurs endroits, le gros du front demeure assez stable depuis les bouleversements non négligeables de la période immédiatement antérieure ; l’inversion de la dynamique de la séquence précédente, cette fois au bénéfice du Gouvernement National d’Accord et au détriment de l’Armée Nationale Libyenne, à n’en pas douter permise par les milliers de proxy dépêchés par la  Turquie, par les nombreuses et destructrices frappes des drones d’Ankara, par l’essoufflement indéniable des forces assez hétérogènes du maréchal Haftar, a semblé trouver ses limites = la ligne de front est à très peu près la même qu’il y a une quinzaine de jours.

 

Libye fin IV 2020.png

 

Bien sûr, il y a eu des actions de part et d’autre ; les forces turques ou turcophiles ont perdu quelques drones de plus et infligé des dommages ponctuels à leurs adversaires, les proxy turcs ont accusé les haftariens de recourir à des armes chimiques, selon l’usuelle allégation des criminels de guerre de la mouvance otanienne et de leurs amis jihadistes, des offensives et contre-offensives limitées ont été engagées par les adversaires, en particulier dans la région de Tripoli [l’une des plus importantes a sans doute été celle des forces de M. Haftar contre l’aéroport de Mitiga, près de Tripoli, base stratégique turque, en particulier pour les drones] ; mais l’affaire de Tarhounah, malgré la continuité du feu autour de cette ville stratégique, ne semble pas avoir profondément évolué, ce qui manifeste que les forces turcotripolitaines peinent à prendre un avantage déterminant après la conquête rapide, dans la première moitié du mois, de l’essentiel d’une frange côtière entre Tripoli et la frontière tunisienne.

 

bataille de Mitiga fin IV 2020.png

Une image de la bataille de Mitiga à la fin d’avril 2020

 

Pourtant, l’on pressent que le soutien turc ne se relâchera pas dans les circonstances, dicté à la fois par les satisfactions symboliques qu’il apporte pour le moment [en particulier dans la rivalité, au sein du monde sunnite régional, entre l’axe frériste Ankara-Doha-Tripoli et l’axe Riyad-Le Caire-Abou Dhabi], mais aussi certainement par l’horizon d’une possibilité de s’assurer un accès précieux à des ressources pétrolières importantes ; voyant arriver en nombre des mercenaires liés à Ankara et rémunérés par Doha – ils étaient probablement au nombre de huit mille à la fin du mois d’avril -, on ne saurait vraiment douter que ce pôle du conflit est en cours de renforcement significatif et l’on a le sentiment assez net que les forces du maréchal, malgré l’appui du Caire, d’Abou Dhabi et de Riyad, manquent désormais de souffle ; cela ne se joue pas à grand chose sans doute, mais l’on n’imagine pas qu’elles puissent reprendre vigoureusement l’initiative à court terme.

 

Proxy turcs arrivant en Libye dans la seconde quinzaine d'avril.png

Proxy turcs arrivant récemment en Libye ; ils arborent soigneusement, mais bien entendu fictivement [comme je l’avais souligné à un autre propos dans la première chronique] les couleurs syriennes anciennes reprises par les prétendus modérés d’une « Armée Syrienne Libre » qui  n’existe plus vraiment depuis longtemps

 

C’est ainsi que l’on se gardera d’interpréter un récent numéro, délibérément fort raide, du maréchal Haftar comme un signe de force et de confiance en l’avenir ; celui-ci a annoncé le 27 avril 1/ qu’il dénonçait l’accord dit de Skhirat de 2015, tendant à la formation d’un Gouvernement d’union [mais celui-ci eût-il pu être réputé  revêtir encore quelque signification ?] 2/ qu’il acceptait le mandat du peuple et l’en remerciait [aspect un peu obscur sauf pour les imaginatifs] ; 3/ que le pouvoir était tranféré à l’armée [mais laquelle ? la sienne assurément – mais quelle est-elle au fond, s’il s’agit d’institution ?]

Puis le maréchal a proclamé un cessez-le-feu unilatéral pour le temps du Ramadan, lequel a été hautainement rejeté par le GNA de M. Fayez el-Sarraj.

 

Le Mal Haftar le 27 IV 2020.png

 

Le plus probable semble que le Maréchal soit dans l’expectative ; peut-être ses amis hésitent-ils à relancer trop fermement les dés dans un moment si difficile pour les producteurs de pétrole ; peut-être des tractations plus larges sont-elles en cours ; en attendant, l’étroit monde diplomatique semble surtout parler du successeur, comme émissaire des Nations-Unies en Libye, de M. Ghassan Salamé ; le nom de M. Ramtane Lamamra, diplomate algérien, circulait avec insistance ces derniers jours, et suscitait approbation des uns et dénonciation des autres. Bref, l’absurdité habituelle du monde, près de dix ans après qu’un dévoyé prétendant désormais jouer les vieux sages [je parle du sieur Sarkozy – lequel semble une n-ième fois vouloir faire don de sa personne à la France et au monde], non content d’avoir trahi la France avec le traité de Lisbonne, ait voulu, sur les conseils pressants de M. BHL [Botul était géopolitiste sans doute…], détruire la Libye sans rien comprendre même à ce qu’il faisait.

Quoi qu’il en soit, si M. Erdogan est en mesure de doubler rapidement la mise [sur ce point je reviendrai au billet suivant], l’on pourra redouter qu’il ne tienne désormais une victoire, au moins dans l’ouest du pays, à assez court terme en Libye, se traduisant peut-être – redoutons-le – par une partition qui servirait de modèle empoisonné pour d’autres situations difficiles et renforçant internationalement M. Erdogan, ce qu’il me semble permis de juger intrinsèquement préoccupant.

 

je recommande vivement cette impressionnante vidéo ; les proxy turcs envoyés en Libye ne sont pas au niveau ; manifestement les troupes haftariennes non plus ; cette atroce histoire peut durer longtemps encore